Tentative d'attribution d'un jeton bourguignon pour la Monnaie des Flandres.
Suite à une demande de nettoyage et d'identification, j'ai eu l'occasion d'étudier un jeton trouvé lors de prospections sur lequel un buste apparaissait vaguement sur une face, l'autre étant quasiment illisible. Et, comme souvent, je me suis rapidement heurté au problème de sa datation.
Après nettoyage, ce jeton s'est révélé ne présenter ni millésime, ni nom, ni armoiries familiales, ni signature de graveur. En l'absence de ces éléments, la seule possibilité qui s'offrait à moi pour situer ce jeton dans le temps était d'identifier le portrait figurant à l'avers. Or, en dehors des jetons ornés de bustes royaux, il n'est pas toujours aisé d'identifier un personnage à partir de son portrait ; surtout sur un jeton sur lequel la représentation est de petite taille et peut être pauvre en détails discriminants. En effet, si le nombre de portraits royaux dont nous disposons est suffisant pour constituer des corpus permettant des datations à quelques années près, il n'en va pas de même pour les autres grands personnages de notre histoire pour lesquels on ne connaît souvent que quelques rares portraits ou même parfois de simples descriptions écrites lacunaires.
Le jeton dont il est question ici est en cuivre et mesure 28 mm de diamètre ; son atelier d'origine est inconnu et il n'est ni daté ni signé.
a/ buste masculin couronné à droite dans un polylobe lui-même inscrit dans un cercle de guillochis ;
légende " IETTOIRS:POVR:LES*MAISTRES*DE "
r/ un briquet surmonté d'une fleur de lys produisant des étincelles au-dessus de quatre morceaux de charbon, le tout dans un cercle de guillochis ;
légende " (lys) LA*MONNOIE*DE*FLANDRES*DE*(?)A*V* "
Les recherches dans la documentation, tant numérique que papier s'étant avérées infructueuses, il semblerait que ce jeton soit inédit et pour le moins assez rare (1) .
La présence du briquet au revers donne sans conteste pour ce jeton une origine bourguignonne. Les légendes quant à elles nous indiquent clairement que ce jeton a été frappé pour l'usage de la Monnaie de Flandres. Nous sommes donc en présence d'un jeton de la Chambre des monnaies de Flandres à l'époque de la domination bourguignonne, ce qui nous situe entre 1384 & 1477. Voici un bon début...
C'est le mariage de Philippe le hardi avec Marguerite III de Flandres en 1369 qui inaugura le grand mouvement d'expansion du Duché de Bourgogne vers le nord. Le Comté de Flandres étant situé loin du Duché, la politique territoriale des ducs successifs consista dès lors à s'emparer des territoires situés entre ces deux régions afin de créer un état unifié et ce au détriment, d'une part de la France et, d'autre part du Saint Empire. Cette tentative d'expansion et d'unification fut probablement guidée par la volonté de donner à la Bourgogne un accès à la mer favorable au développement de son commerce mais aussi par celle de créer un état tampon entre la France et l'empire des Habsbourg.
carte des états bourguignons au maximum de leur expansion
(source : atlas historique universalis)
Ces velléités expansionnistes firent du Duché de Bourgogne une puissance économique et politique de poids dans le paysage européen de la fin du moyen âge. Malheureusement tous ces territoires avaient chacun leur propre histoire et différaient grandement sur les plans culturel et linguistique et il n'était donc pas simple d'en faire une entité cohérente. C'est pourquoi, Charles le téméraire, signa en 1475 l'ordonnance de Thionville dont le but était le passage de cette pluralité de pouvoirs locaux à un état unifié et centralisé sous sa seule autorité.
Mais Louis XI, voyant là une menace à son propre pouvoir, dénonça l'ordonnance et pesa de tout son poids pour pousser les marchands liégeois à la révolte ; révolte qui fut durement réprimée par Charles le téméraire qui fit incendier la ville de Liège. En réponse, Louis XI jeta toutes ses forces contre l'état bourguignon et la guerre qui s'ensuivit incita les états généraux des Pays-bas à supprimer toutes les institutions bourguignonnes dans les territoires annexés dont le Duché perdit de facto le contrôle. Ce conflit provoqua la fin de l'indépendance du Duché de Bourgogne qui tomba dans l'escarcelle du roi de France alors que les territoires bourguignons du nord passèrent sous l'autorité des Habsbourg et le Comté de Bourgogne sous celle de Marie de Valois-Bourgogne.
Les états bourguignons n'existèrent donc au final guère plus d'un siècle et durant cette période, quatre ducs et une duchesse se sont succédé à la tête du Duché et du Comté :
- Philippe II dit " le hardi " de 1364 à 1404
- Jean Ier dit " sans peur " de 1404 à 1419
- Philippe III dit " le bon " de 1419 à 1467
- Charles dit " le téméraire " de 1467 à 1477
- Marie de Bourgogne de 1477 à 1482
Le portrait de l'avers de ce jeton étant masculin, on peut d'emblée éliminer Marie de Bourgogne ; ce qui nous laisse donc le choix entre quatre candidats.
A ce stade, il faut nous intéresser à certains petits détails pour resserrer notre faisceau de présomptions. Le plus intéressant de ces détails est le collier qu'arbore notre personnage et qui n'est rien moins que le collier de la toison d'or. L'Ordre de la toison d'or ayant été établi par Philippe le bon en 1430, cet élément permet donc de disqualifier Philippe le hardi et Jean sans peur.
Restent donc en lice :
Philippe le bon VS Charles le téméraire
Rogier van der Weyden Rogier van der Weyden
vers 1440 (2) vers 1460 (2)
A partir d'ici il nous faut entrer dans le domaine plus subjectif de la ressemblance physique et il convient donc de rester prudent même si nos deux protagonistes sont suffisamment différents physiquement et que l'on dispose d'un grand nombre de portraits pour chacun d'eux qui devraient nous permettre d'oser une attribution.
Si l'on se penche sur les portraits peints ou sculptés de Philippe le bon à notre disposition, on constate que ce dernier est systématiquement représenté avec les cheveux très courts et une coupe " au bol ". De plus, lorsqu'il porte un couvre-chef, il s'agit toujours d'un chaperon ou d'un bonnet et jamais d'une couronne.
Charles le téméraire quant à lui est représenté avec des cheveux mi-longs légèrement ondulés tombant sur la nuque et les oreilles et lorsqu'il est coiffé, il porte soit un calot de laine soit une couronne.
Les autres critères physiques comme la forme du visage, du nez ou du menton sont moins évidents à appréhender sur un portrait de profil de si petite taille mais ils semblent néanmoins faire pencher la balance en faveur de Charles le téméraire.
Il semble donc que l'on puisse, avec une forte probabilité, trancher en faveur d'un jeton représentant Charles le téméraire en tant que duc de Bourgogne ; ce qui placerait ce jeton dans une fourchette chronologique de 10 années entre 1467 & 1477.
Pascal van Waeyenbergh
Notes :
(1) ce jeton n'est répertorié ni par Feuardent, ni par Marinèche, ni par Laurençot.
(2) le portrait de Philippe le bon est conservé au musée des beaux arts d'Antwerpen ; celui de Charles le téméraire au staatliche Museen de Berlin.
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