Jetons de l'Ancien Régime

Il y a peu, un collectionneur m'a fait parvenir un jeton pour nettoyage et identification. Une fois rendu lisible, ce jeton s'est avéré être inédit dans la documentation et quelques recherches ont donc été nécessaires pour lui faire raconter sa petite histoire.

Il s'agit de prime abord d'un classique jeton du type dit " au globe crucigère " ou " à la rose "  produit par divers ateliers de Nuremberg durant une période s'étalant de la fin du XVème siècle jusqu'au début du XVIIIème.


 



Ce jeton est en laiton, mesure 25 mm de diamètre et n'est ni daté ni signé.

A l'avers : quatre fleurs de lys & quatre couronnes alternées autour d'une rose, le tout inscrit dans un cercle d'annelets interrompu par les fleurs de lys ;

légende " *ESTIENNE+LORME+MARCHA " avec deux croisettes superposées en début de légende.

Au revers : un globe crucigère dans un double trilobe à redents ;

légende " *SAINTVRIER+EM+A+TROYES " avec quatre croisettes posées en croix en début de légende.

D'emblée, plusieurs particularités sautent aux yeux de qui connaît un tant soit peu les jetons de Nuremberg.

- D'abord, le cercle d'annelets de l'avers ainsi que la légende en français qui se poursuit sur les deux faces qui, même s'ils ne sont pas uniques demeurent peu courants sur les productions nurembergeoises standard.

- D'autre part, la présence d'un nom autre que celui d'un graveur qui est un cas unique sur ce type à ma connaissance. Reste à identifier avec précision cet Étienne Lorme dont la suite de la légende nous apprend qu'il fut marchand ceinturier (c'est-à-dire, fabricant et marchand de ceintures de cuir et/ou de demi-ceints) à Troyes.

- La signification des lettres " EM " intercalées dans la légende de revers demeure pour l'instant mystérieuse.

Nous sommes indéniablement en présence d'un jeton de fabrication allemande frappé au nom d'un commerçant troyen. Il s'agit donc vraisemblablement d'une commande personnalisée émanant d'un commerçant aisé et bien établi désireux d'augmenter son prestige (et son chiffre d'affaires) par le biais d'un peu de publicité.

C'est, à ma connaissance, le seul exemple de jeton à visée publicitaire fabriqué dans un atelier nurembergeois à l'époque moderne (XVIème - XVIIIème siècles).
Ce jeton est donc certainement une rareté même si de rapides recherches sur le net ou dans des catalogues de vente m'ont permis d'en trouver quelques exemplaires issus de collections privées. Quoi qu'il en soit, ce jeton n'a pas dû être fabriqué à plus de quelques centaines d'exemplaires (les jetons se vendaient par bourses de 100).

Reste à trouver des renseignements concernant Étienne Lorme mais celui-ci n'ayant apparemment laissé comme trace dans l'histoire que ce jeton à son nom, il faudrait probablement consacrer beaucoup de temps à des recherches en archives pour obtenir quelques informations sur son histoire. Et malheureusement, sans ces renseignements il nous est tout aussi impossible de dater précisément ce jeton.
On aurait pu penser que le cercle d'annelets était une originalité suffisamment rare pour permettre une datation approximative, malheureusement, celui-ci ne semble apparaître que sur des jetons non datés et non signés.

Ce jeton n'en demeure pas moins intéressant par sa rareté et par les questions qu'il pose et auxquelles je ne désespère pas de répondre un jour.

Pascal Van Waeyenbergh